Quand je mens pour avoir la paix…

Ou l'intérêt de ne pas tout dire afin de se protéger

Juste un rendez-vous chez le docteur...

Hier encore chez le médecin pour une visite de routine pour les 15 mois de ma 2ème choupette, je me suis retrouvée malgré moi à diminuer drastiquement le nombre de tétées que je donne en 24h, suite à la question du docteur : « combien de tétées encore le jour et la nuit ? ». Et malgré ça j'ai eu droit à « Ah bon ça peut aller jusqu'à 6 tétées la nuit ?!!! » Oui, quand elle est a du reflux elle tète davantage. Pour les tétées en journée j'ai dit 3 alors qu'en fait je ne compte pas, puisque j'allaite à la demande. Je l'ai d'ailleurs dit plusieurs fois au médecin, que je ne comptais jamais, en plus les mathématiques c'est vraiment pas mon truc. Mais il lui faut un chiffre pour noter dans le carnet de santé... Et à chaque fois elle semble abasourdie par le nombre de tétées. Pourtant je  me dis que je n'ai que faire de son regard, mais je n'ai pas envie d'être jugée, d'être incomprise dans mon rôle de mère, avec quelqu'un qui verrait cet allaitement à la demande comme un asservissement total à son bébé. Ce qui n'est pas faux en soi, puisque je lui suis totalement dévouée sur ce point précis, MAIS je le vis dans la joie car je l'ai choisi.

Et puis à un moment de la discussion, en lui disant que ma fille était plutôt dégourdie, plus rapide que son ombre à attraper nos verres ou assiettes et à me casser au moins une chose par jour, elle me dit d'un ton suspicieux : « et vous la grondez ? » et me voilà à répondre par l'affirmative ! Alors que je ne me vois pas gronder un petit bout qui ne sait pas réellement ce qu'il fait et qui expérimente la théorie de la pesanteur de Newton en faisant tomber les choses au sol...

Le mensonge ou l'omission comme protection

En fait je réalise que régulièrement, je mens en détournant le réel ou par omission afin de ne pas dévoiler mon véritable mode d'éducation, que j'estime bienveillant au possible, à l'écoute des enfants, mais qui avant tout me ressemble et qui est surtout adapté à mes filles que je n'ai absolument pas envie de mettre dans des cases !

En analysant ce comportement, alors qu'il n'est pas dans mes habitudes de mentir (je déteste ça et cela va plutôt à l'encontre de mes valeurs), je vois que je m'adapte à la personne en face de moi. Si je la sens ouverte, bienveillante à mon égard, je reste dans la vérité, dans ma vérité. Si je sens l'autre dans le jugement, le mensonge est une façon de me protéger, et de protéger mes filles.

C'est souvent suite à des remarques dans le jugement que l'on se façonne une coquille voire une carapace autour de nous afin de ne permettre à personne d'interférer dans notre monde intime.

La peur du regard de l'autre

Pourquoi cette peur du regard de l'autre face à des choses qui sont si essentielles pour nous ?

Pourtant j'assume mes choix éducatifs, et je suis en harmonie avec les valeurs que j'ai choisies, surtout que j'ai également l'occasion de défendre ces mêmes valeurs et d'expliquer leur raison d'être dans mon travail, et en m'appuyant sur les neurosciences et nombreux auteurs de psychopédagogie pour enfants.

Je pense que cette peur intervient quand l'autre en face vous infantilise.

Et c'est parfois le cas avec le corps médical, cela peut être un dommage collatéral du fait de prendre soin des gens, on les prend de façon supérieure comme si on avait la connaissance suprême.

Comme quand je suis allée chez le dentiste, en précisant que j'allaitais, au cas où il y ait besoin d'une anesthésie ou un traitement incompatible, et je me vois bombardée de questions par la secrétaire : « Votre bébé a quel âge ? 9 mois ? Mais à cet âge elle mange autre chose donc vous l'allaitez peu ? » Et moi de répondre spontanément « Non le lait est très important, elle est quasi en exclusif, la nourriture solide ne l'intéresse pas ». J'avais à peine fini ma phrase que j'ai eu droit à une réponse très sèche, avec un ton outré : « Pffff ! Mais vous auriez dû l'habituer avant non ? » . Et là, oui, j'avoue que je me suis sentie une mauvaise mère. Je n'ai rien répondu car je ne m'attendais pas à être jugée ainsi, surtout vu le contexte. Le sentiment de colère qui a suivi ne m'a pas quitté de la soirée. Je ne comprends pas ce qu'on les gens à prendre du plaisir à rabaisser les autres sans les connaître véritablement .

Malgré mon diplôme d'éducatrice et mon expérience de directrice de crèche, je n'ai jamais parlé de façon condescendante aux parents que j'accueillais ou que je rencontrais, ni même à mes amies qui sont jeunes mamans. Si on me pose des questions je réponds, mais sinon je ne me permets pas d'intervenir ni de commenter leurs choix éducatifs. Chacun fait ce qu'il peut avec ce qu'il a, et même en suivant les courants pédagogiques d'éducation positive, on fait des erreurs !

Ce qui gêne chez l'autre n'est que le miroir de nous-mêmes

En effet, on peut penser que si l'autre en face de vous réagit fortement à vos paroles, c'est que votre discours fait écho en lui, pour une raison qui lui est propre. Qui sait si cette secrétaire offusquée que mon bébé ne mange pas autre chose n'a pas galéré elle-même au moment de diversifier son enfant ? Ou qu'elle ne souffre pas de troubles alimentaires?

Juger quelqu’un c’est faire ressortir l’inexprimé, l’inacceptable pour soi-même. Lorsque quelqu'un est agacé par nos propos, la théorie du miroir nous indique que cette personne ne s’autorise pas à exprimer cette douleur qui se trouve déjà en elle, ce qui explique son agacement.  Ce que l'on vit intérieurement, bien souvent inconsciemment, les sentiment que l'on dégage, émettent une certaine vibration qui va attirer une réaction de même intensité chez la personne en face de soi.

En cessant de juger les autres et en arrêtant de pointer ce qu'on prend pour des erreurs, on endosse ainsi la responsabilité de nos ressentis et l'on peut enfin devenir libre.

Ce que je ne dis pas...

Et oui, il y a aussi les mensonges par omission !

Je ne dis pas que parfois pendant les vacances, ma grande dort avec moi et la petite et que papa dort sur le canapé du salon...beaucoup s'en offusqueraient, y verraient une éjection du papa du « lit conjugal », alors qu'en fait mon mari est super content car il peut regarder un documentaire tranquille jusqu'à pas d'heure, et que le bonheur de sa première fille, qui se sent un peu délaissée par maman depuis la naissance de la petite sœur, compte plus que tout. Non, je ne le dis pas. Pas envie d'entendre « Mais le lit c'est pour les parents uniquement, faut pas s'étonner si on a des problèmes de couple en laissant venir les enfants dans ce lieu intime ! ».

Je ne dis pas non plus qu'il arrive que je laisse ma grande manger ce qu'elle veut quand elle veut, considérant que si elle veut manger c'est qu'elle a faim, et que de toutes façons je n'ai pas de choses mauvaises à manger dans les placards, une banane et ça repart. Pas envie d'entendre « Manger en dehors des heures de repas, c'est du grignotage ! A table il faut forcer les enfants à finir leur assiette même s'ils n'ont plus faim ! ».

Je ne dis pas qu'il arrive tout simplement qu'on laisse notre grande dormir le matin et manquer l'école « juste » parce qu'elle est fatiguée. Pas envie d'entendre « Mais l'école c'est sacré, si on loupe ne serait-ce qu'une heure de cours on prend de suite du retard et si c'est fait régulièrement c'est l'échec scolaire assuré! ».

Je ne dis pas que, par moments, aux beaux jours, nous sortons faire une ballade après 21h pour profiter des derniers rayons du soleil. Ou que ma grande regarde avec nous un ou deux épisodes de Fais pas ci, fais pas ça le vendredi soir. Pas envie d'entendre « Ah mais les enfants doivent être scrupuleusement couchés à heure fixe, et avant 21h, même le week-end ! ».

Je ne dis pas que, de temps en temps, nous faisons un dîner « crêpes sucrées » car le frigo est vide, que je n'ai pu faire les courses, et que c'est quand même délicieux. Pas envie d'entendre « Les enfants doivent manger équilibré à chacun des repas sinon on leur donne de mauvaises habitudes alimentaires ! ».

Je ne dis pas que, très souvent, on gâte nos filles en dehors des fêtes et anniversaires juste pour le plaisir d'offrir et de voir leurs yeux briller. Pas envie d'entendre « De nos jours les enfants sont pourris gâtés et couverts de cadeaux, ensuite ils deviennent ingrats ! ».

Je ne dis pas qu'à la maison on mange quasi végétalien (nous avons gardé les œufs de nos poules), en accord avec notre grande qui, suite à un déjeuner dans ma famille et à un poisson arrivé entier sur la table, a voulu arrêter de consommer des animaux. Ce qui nous permet finalement de varier les recettes, de connaître d'autres goûts et d'en apprendre davantage en diététique. Pas envie d'entendre « C'est très dangereux comme régime, il y a obligatoirement des carences, c'est criminel en tant que parent ! ».

Je ne dis pas que l'on parle spiritualité et mort avec notre grande, parce qu'elle est en demande et a besoin d'être apaisée sur certaines choses. Pas envie d'entendre « Il y a des questions des enfants auxquelles il ne faut pas répondre, ils apprendront par eux-mêmes plus tard ! ».

Je ne dis pas que l'on met 10 fois par jour le clip Ritmo robotico de la sérieYo soy Franky en faisant la chorégraphie en famille. Pas envie d'entendre « Les programmes pour enfants sont abêtissant au possible ! ».

Je ne dis pas qu'il m'arrive de m'excuser auprès de mes filles suite à une voix partie un peut trop haut dans l'agacement et la fatigue. Pas envie d'entendre « C'est l'adulte qui a toujours raison, on ne doit pas se rabaisser devant ses propres enfants! ».

Je ne dis pas que je considère mes filles comme mes égales, voire même comme plus évoluées que moi, malgré leur jeune âge. Pas envie d'entendre « Les enfants doivent être soumis aux ordres des adultes, ce sont les parents qui doivent décider de tout, ils n'ont pas leur mot à dire ! ».

Non, je ne dis pas tout cela. Mais à vous je l'écris, car je sais que certains vont se reconnaître dans ces phrases.

Et si l'on veut créer le monde que l'on souhaiterait voir, un monde de bienveillance, alors il faut aussi être dans la confiance, et créer des espaces de confiance, de non-jugement, comme ici, où on peut être librement dans l'échange, sans peur d'être jugé.

Et vous, que ne dites-vous pas ?

6 réactions à Quand je mens pour avoir la paix…

  • C’est juste parfait ce que vous dites et vraiment je me retrouve
    ❤️❤️❤️❤️

  • Un grand merci pour cet article qui fait du bien, pas toujours facile de partager nos expériences de parents, y compris dans nos propres familles. Je suis éducatrice spécialisée, formée sur les approches psycho corporelle et le développement de la toute petite enfance, maman de trois enfants et je dois encore me justifier auprès de ma propre maman… entre autre… Mon plus grand bonheur c’est de voir mes enfants confiants et sereins, ma famille unie et joyeuse!!! Le regard des autres j’espère le faire évoluer!

  • Très bel article, je me reconnais dans ce que vous dites, surtout sur la fin ?

  • J’ai enfin changé de pédiatre pour mon troisième enfant : elle ne m’a jamais demandé combien de fois ma fille tétait par jour. Elle me demandait juste si j’allaitais bien à la demande les premiers mois, et, par la suite, si elle mangeait aussi solide, sans aucune directive de sa part (je pratique la DME). Quand à la question « vous la grondez? », je ne vois pas pourquoi un médecin se permet de poser ce type de question… C’est aberrant ces médecins qui outrepassent leurs devoirs…

  • Cela me rappelle une visite chez une pédiatre sur mon lieu de villégiature..
    Bébé a 2 ans.. il a une sucette. Bon. Elle me montre qu’il a un léger décalage dentaire. Ok. Je m’en doutais. Dont acte. Et là elle me dit  » il faut lui enlever la sucette, il est grand maintenant » j’ai souris.
    Il est venu me la demander évidemment, il a senti la menace.. Je lui ai répondu en riant « mais chéri tu as entendu, tu es grand maintenant » et je lui ai donné.
    Non mais.

    Acte 2 : « s’il ne vous écoute pas, enlevez lui tous ses jouets quelques jours »
    J’avais envie de lui répondre que je lui enverrai

    Elle m’a fait la journée mdr

  • MERCI ! 🙏
    Je ne dis pas que ma grande de 5 ans nous rejoint dans le lit la nuit….
    Je ne dis plus que mon petit de 9 mois me réveille plusieurs fois la nuit pour un câlin tétée….
    Je ne dis pas que la tétée est toujours à la demande en journée…
    Je ne dis pas que je souhaiterai l’allaiter le plus longtemps possible…
    Je fais ce que je veux tant que j’estime ne pas mettre en danger la santé de mes enfants. Pourtant les regards et réflexions des extérieurs sont tellement agaçants, blessants. Alors en effet l’omission pour se protéger est la solution pour ne pas être jugée et éviter des réponses virulentes aux jugements parfois blessants.

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