Pour une naissance insoumise

Pour une naissance insoumise

Pour une naissance insoumise

Par Bernard Bel

Une des comédiennes qui interprètent Les monologues du vagin dans un théâtre parisien commentait à la radio les attaques de l’administration Bush contre la liberté de l’avortement aux USA : « En France, heureusement, mis à part quelques fanatiques religieux, personne ne fait campagne pour l’abolition du droit à l’avortement. Il est évident que l’on ne peut pas, aujourd’hui, empêcher les femmes de prendre des décisions pour tout ce qui concerne la vie de leur corps ! »

Évident, certes… Pourtant il suffit de franchir la porte de n’importe quelle maternité française pour y trouver, en salle de travail, des femmes allongées en position «poulet de Bresse», le sexe offert au regard de tous, se laissant docilement tripoter ou charcuter par « les gens qui savent » en dehors de toute urgence médicale qualifiée… Comment des personnes à ce point conscientes de leurs droits, de leur autonomie, de leur féminitude, en sont-elles arrivées à un pareil degré de soumission? Et que dire de leurs compagnons qui assistent sans mot ni geste, ni le moindre sentiment de révolte, à une telle dénégation de leur identité de femme, abdiquant leur pouvoir — leur droit — d’enfanter ?

La sélection d’entretiens compilée dans Les monologues du vagin, couronnée par un récit de naissance interventionniste, reflète une idée communément répandue que le vagin de la femme accouchante devient la propriété exclusive du corps médical.

Dans un monde démocratique, une majorité de parents éduqués se conforment au système de « naissance industrielle » sans le moindre regard critique — avec des « oui docteur ! » et des « mon gygy est formidable ! » —, persuadés que leur « usine à bébés » est le seul lieu sécurisé envisageable, au 21e siècle, pour la venue au monde d’un enfant. Comment peuvent-ils, à de rares exceptions près, se tenir à l’écart des débats, des études scientifiques, des pages Internet, des ouvrages et témoignages qui prouvent que d’autres choix sont possibles, plus sécuritaires dans bien des cas, car plus respectueux de la physiologie de l’accouchement ? Plus respectueux aussi de leur ressenti personnel pour ce qui concerne la santé, la sexualité, la vie…

Quelle méthode de « clonage des esprits » a pu les pousser ainsi à la soumission ?

La peur, maladie contagieuse

Dans un accouchement, la peur est la première marche d’un escalier qui dégringole, lentement mais sûrement, vers la pathologie. Voyons d’abord la physiologie de ce processus : la filière génitale des mammifères comporte deux familles de muscles. Les premiers, dans la partie supérieure de l’utérus, servent à pousser le fœtus vers le canal vaginal. Les seconds, dans le plancher pelvien, servent au contraire à retenir le fœtus, permettant à la femelle de prendre la fuite si elle se sent en danger. En fait, la sélection naturelle a privilégié deux stratégies opposées, selon l’état d’avancement de l’accouchement : ou bien la mère va retenir le fœtus et interrompre le travail (dans la phase de dilatation du col), ou encore elle va s’en séparer le plus vite possible (dans la phase dite « d’expulsion »). Tout cela, bien sûr, de manière inconsciente, puisque c’est le cerveau « profond » qui orchestre la parturition en l’absence de toute intervention.

Un autre phénomène physiologique lié à la peur est celui de la douleur. Quand nous sommes effrayés, notre visage blêmit et nos lèvres perdent leur érubescence. En effet, le corps mobilise la masse sanguine autour des organes vitaux — encore un réflexe qui s’est avéré favorable à la survie de l’espèce :

Malheureusement, l’utérus est lui aussi considéré comme un organe non essentiel pour combattre ou fuir. D’après Grantley Dick-Read, l’auteur de Naissance sans peur, l’utérus d’une femme apeurée est littéralement blanc. Sans « combustible », l’utérus ne peut pas fonctionner, et les déchets ne peuvent pas non plus être évacués. Par conséquent, il y aura des douleurs et des problèmes.

Nous voyons donc que le sentiment d’insécurité, chez une femme en travail, influe directement, et de manière néfaste, sur la dilatation du col de l’utérus, sur l’intensité et l’efficacité des contractions, la sensation de douleur, et en définitive la durée de son accouchement.

On pourrait dire que la peur, dans un environnement médical, est une « maladie psychique nosocomiale » sans lien objectif avec la configuration de risques dans l’instant de l’accouchement. Elle est induite ou amplifiée par les personnes accompagnantes, médecins et sages-femmes, le plus souvent relayées par le père de l’enfant, dans un contexte familial et culturel propice à cette « contamination ».

Il y aurait beaucoup à dire — beaucoup a déjà été dit et écrit dans nos forums de libre parole et listes de discussion — sur les angoisses des pères pendant la gestation et la naissance de leurs enfants, et sur les conséquences à long terme d’un vécu qui ne répond pas à leurs attentes, même dans les accouchements les moins médicalisés. Notre amie Stéphanie C. vient d’accoucher de son troisième enfant. Le premier est né en siège par césarienne et le deuxième par « voie basse » à domicile en présence d’une sage-femme. Cette fois, elle a un peu hésité à faire son nid, ayant prévu de ne rien prévoir… Au dernier moment, elle s’est décidée à placer des couvertures au fond du bac à douche, s’y est enfermée, et une heure plus tard elle a donné naissance à une petite fille sans aucune aide extérieure. Alors que les parents imaginaient vivre cette naissance de façon « fusionnelle », le père a assisté à la naissance de son enfant à travers la porte vitrée de la douche. Spectateur forcé, faute de pouvoir s’impliquer dans le processus, il a éprouvé quelques angoisses : le bébé semblait manquer de tonicité, le placenta ne se décidait pas à venir… La mère a fini par demander à son compagnon et aux enfants de s’éloigner, le temps qu’elle puisse se recentrer sur elle-même et laisser sortir le placenta. C’est un merveilleux accouchement qu’ils ont vécu, et pourtant la nature n’était pas « optimale » puisqu’elle a privilégié l’isolement de la mère au détriment de la relation père-mère-enfant qui était recherchée.

Dans un environnement surmédicalisé, les pères sont confrontés à la violence obstétricale lorsque des gestes intrusifs ou mutilatoires (comme la « petite » épisiotomie soi-disant « préventive ») sont accomplis sur leur compagne en dehors de tout consentement. D’un point de vue juridique, ce ne sont rien de moins que des « agressions » ou des « coups et blessures » (assault ou battery en anglais britannique). Mais les pères participent aussi, inconsciemment, à l’engrenage de la peur et à l’escalade des interventions . Cela peut commencer par un « Dites-moi si le bébé va bien ? », qui induira un geste médical perturbateur, aux répercussions imprévisibles, sur une mère qui ressentait le besoin, à cet instant précis, de rester « dans sa bulle » — comme Stéphanie dans son bac à douche. Rares sont les personnes formées professionnellement à l’accompagnement de la naissance qui ont eu le privilège d’assister à un accouchement physiologique sans aucune intervention, comme celui que nous venons d’évoquer. Cela concerne aussi une majorité de sagesfemmes nouvellement formé-es qui, en France, en Belgique — bientôt au Québec — « feront » des accouchements à domicile en débarquant « bien outillée[s] pour mener la grossesse à terme, et ce, en toute sécurité ». Comment peuvent-ils/elles se poser en « gardiennes de l’eutocie » sans expérience pratique de la physiologie de l’accouchement ?

Les protocoles

La peur des obstétricien-nes est profondément ancrée dans une vision de la naissance qui s’est imposée avec la « gestion active du travail » (Active Management of Labour). Beverley Beech, présidente d’AIMS (Association for Improvements in the Maternity Services, Royaume-Uni), explique :

La gestion active du travail […] a été promue avec beaucoup de dynamisme par O’Driscoll en Irlande. Elle est basée sur des procédures qui ont vu le jour suite à une décision franche du corps médical de fermer les maternités locales de petite taille. On a alors demandé aux femmes d’accoucher dans de très grandes unités obstétricales centralisées, et comme ces unités étaient de plus en plus encombrées il a fallu que les obstétriciens trouvent un moyen de traiter aussi vite que possible les parturientes en salle de travail.

En 1963, la durée optimale de l’accouchement d’une femme primipare était de 36 heures, en 1968 elle est passée à 24 heures, et en 1972 elle a encore été réduite à 12 heures. On en est à 8 heures aujourd’hui. […] La réduction de la durée du travail est en proportion inverse au nombre d’accouchements. Afin que les femmes accouchent à coup sûr sans dépasser le temps imparti artificiellement, le travail est déclenché ou accéléré, les femmes sont vigoureusement encouragées à pousser à la demande, et on pratique une épisiotomie pour avoir la certitude absolue que le bébé émergera aussi vite que possible.

Pour accomplir les gestes nécessaires dans ce qui est devenu par défaut — et par nécessité économique — une urgence médicale, les équipes obstétricales ont dû s’entourer de protocoles qui leur permettent de prendre des décisions à l’écart de toute évaluation subjective de la situation. Ce qui fait l’objet d’une expertise, en cas de recours légal, ce n’est pas la pertinence de tel protocole (beaucoup sont en désaccord avec les études scientifiques) mais la recherche de preuves que le praticien mis en cause a respecté ou enfreint ce protocole.

La seule observation de la réduction du temps moyen de son déroulement nous apprend que l’accouchement médicalisé ne respecte pas la physiologie de la parturition. La femme n’accouche pas, elle « est accouchée », selon l’expression dont même les sages-femmes « libéralisées » mettent longtemps à se débarrasser.

L’obstétrique traditionnelle consiste à surveiller un phénomène physiologique en se tenant prêt à intervenir à tous les instants. L’obstétrique moderne consiste à perturber le dit phénomène de telle sorte que l’intervention devienne indispensable à l’heure exacte où le personnel est disponible. C’est beaucoup plus difficile.

Il incombe au personnel médical d’assurer le déroulement du processus dans le temps imparti, tout en surveillant ce qui pourrait dévier d’une trajectoire tracée à l’avance. Par exemple, le protocole de Dublin prévoit une dilatation du col accomplie en 10 heures, à raison d’un centimètre par heure. La dilatation ralentit ? Les contractions s’affaiblissent ? Même si le rythme cardiaque fœtal ne signale aucune anomalie, on pousse le Syntocinon…

L’accouchement est devenu aujourd’hui la seule activité physique où le dopage est non seulement légal, mais jugé indispensable pour accomplir l’exploit d’extraire un bébé du ventre de sa mère vite, le plus vite possible…

J’ai entendu parler d’un logiciel qui serait en cours de mise au point pour la prise de décision à partir des signaux de l’enregistrement cardiotocographique (monitoring fœtal continu). Or les études comparatives entre ce mode de surveillance et l’auscultation intermittente, dans un accouchement à faible risque, n’indiquent aucun avantage en termes de mortalité ou de séquelles neurologiques. Par contre, les interprétations alarmistes de signaux observés en continu entraînent une augmentation mesurable des actes invasifs (césariennes et extractions instrumentales). En l’absence de signe clinique, le monitoring continu agit donc plutôt comme un amplificateur des peurs de l’équipe obstétricale. De plus, la position en décubitus dorsal imposée aux femmes pour placer la ceinture du monitoring n’est presque jamais remise en cause par les praticiens hospitaliers, alors qu’elle augmente le risque de détresse fœtale à cause de la compression de la veine cave qui affaiblit la circulation sanguine en direction du bébé.

Cette position obstétricale présente bien d’autres désavantages :

Quand la femme ressent très fort l’envie de serrer les jambes, elle passe pour l’inhibée qui ne peut pas accoucher. Mais son bébé est en train de passer aux ischions : en fermant les jambes, elle ouvre ses ischions. Or on veut des femmes bien ouvertes « Penthouse style » : on lui force les jambes dans les étriers et on coince la tête du bébé. Fabuleux ! Là elle pourra optimalement « constiper » son accouchement (Stéphanie St-Amant, Portail Naissance).

Le plus important, pour réussir un accouchement dans l’optique de gestion active du travail, est de dominer le corps et l’esprit de la femme, tellement imprévisibles, comme chacun sait, et si peu fiables ! Pour cela, on instaure un climat d’urgence auquel seront associées toutes les personnes présentes. Le travail des professionnel-les ne consiste plus à apaiser les angoisses des parents — d’ailleurs, où trouveraient-ils/elles le temps de le faire ? — mais à s’assurer que les gestes dictés par leurs protocoles ont bien été posés. Dans une affaire portée devant les tribunaux en Angleterre, la sage-femme avait pratiqué une épisiotomie après la naissance du bébé, de peur d’être réprimandée pour s’être écartée d’un protocole qui prônait, à l’époque, l’épisiotomie systématique, et prétextant qu’elle n’avait pas eu le temps de couper pendant la phase d’expulsion.

Le droit

Dans un tel climat, la rétention d’informations est le plus sûr moyen d’entretenir des attitudes submissives. La plupart des parents, en France, ignorent tout de l’article L 1111-4 du Code de la santé publique :

Toute personne prend, avec le professionnel de santé et compte tenu des informations et des préconisations qu’il lui fournit, les décisions concernant sa santé. Le médecin doit respecter la volonté de la personne après l’avoir informée des conséquences de ses choix. Si la volonté de la personne de refuser ou d’interrompre un traitement met sa vie en danger, le médecin doit tout mettre en œuvre pour la convaincre d’accepter les soins indispensables. Aucun acte médical ni aucun traitement ne peut être pratiqué sans le consentement libre et éclairé de la personne et ce consentement peut être retiré à tout moment.

Toujours en France, le personnel soignant et les usagers des services de santé sont liés par un « contrat de soins » cité dans l’article 32 du code de déontologie médicale, en référence à l’arrêt Mercier du 20 mai 1936. Il y est question de « l’entente tacite entre le malade qui se confie et le médecin qui s’engage » :

La conscience professionnelle du médecin implique attention minutieuse, disponibilité et compétence, ainsi qu’une juste appréciation des limites de cette compétence. Elle est conscience aux deux sens du terme : perception lucide d’une situation (médecin conscient) et honnêteté du comportement (médecin consciencieux) : « Fais pour autruy ce que tu voudrois qu’on fist en ton endroict » disait Ambroise Paré, mais ce conseil ne doit pas être un prétexte pour décider, à la place du malade, ce que le médecin juge bon pour lui, suivant un paternalisme même bien tempéré.

C’est à partir de ce cadre contractuel que devraient s’élaborer les projets de naissance, et non dans un simulacre de renégociation des droits des parents.

Sortir de la cage…

Dans un forum public, des patientes françaises notent leurs gynécologues en racontant leur expérience des visites médicales pendant la grossesse. Bien que la plupart des commentaires soient positifs, parfois même enthousiastes, quelques femmes relatent des expériences traumatisantes. Bien qu’écrits sous le coup de l’émotion, ces témoignages sont révélateurs d’un irrespect du consentement éclairé des patientes.

[…] la palme de la barbarie revient à ce méd… à ce boucher qui s’est trompé de vocation. Il commence par vous prescrire des piqûres d’hormones au cas où…, fait une échographie à chaque visite, et ne s’émeut pas de voir votre bout de chou tenter d’échapper à… la sonde endo-vaginale !!!

À chaque consultation, vous avez droit au spéculum et autres palpations faites avec tant de douceur que votre ventre se transforme en béton armé pendant plusieurs jours. Les seins sont également palpés plus que de raison me semble-t-il… ????

Ce type de doléance est assez fréquent dans les échanges de nos listes de discussion. Certains praticiens s’expriment avec cynisme en exploitant la situation de fragilité dans laquelle se trouve une femme enceinte lorsqu’on lui annonce une anomalie dans le déroulement de sa grossesse. Une jeune femme écrit :

Deuxième et dernière consultation, de l’ordre : « Bon, eh bien, il va falloir faire une césarienne, le bébé est en siège ». Moi, ignorante : « Ah bon, pourtant la sage-femme m’a dit la semaine dernière que vous encouragiez plutôt la voie basse. Il est trop gros ? » — « Non, justement, il est trop petit (?), et puis si vous savez mieux que moi vous faites votre petite obstétrique et vous accouchez chez vous ! » Là, je pleure. « Et puis ce n’est pas la peine de pleurer, hein ! Vous avez lu la notice sur l’accouchement en siège ? Parce que, si vous ne l’avez pas lue, sachez que j’ai autre chose à faire que de passer mes week-ends à rédiger des notices sur l’accouchement en siège! » Moi, toujours en pleurs : « Je pense qu’il vaudrait sans doute mieux que ce ne soit pas vous qui m’accouchiez… » Lui : « Mais vous croyez que j’ai envie de vous accoucher ? Mais j’ai des assistants pour ça ! »

Des exemples encore plus flagrants d’abus d’actes médicaux sont la pratique fréquente (sans aucun consentement) du décollement des membranes lors de la dernière auscultation avant l’accouchement, qui équivaut à un déclenchement, et le harcèlement des femmes qui refusent la péridurale.

La situation de la naissance en France me fait penser à celle d’un pays où 99% des gens seraient incarcérés sans même savoir quelle faute ils ont commise. Quelques agents pénitentiaires compatissants leur proposent des promenades dans une cour de récréation. Au loin, derrière les grillages et miradors du médico-légal, ils aperçoivent des spécimens des 1% « d’insoumis » qui vivent en liberté. On leur explique que ce sont des gens dangereux ! Une secte, peut-être ? J’ai déjà entendu ce discours, mais les sectes qui cherchent à enrôler les femmes enceintes n’ont aucune difficulté à s’infiltrer dans le système…

« Il ne faut pas faire peur aux femmes ! » protestait une sage-femme dans un débat public sur l’épisiotomie, où nous venions de faire état de la centaine d’articles scientifiques préconisant l’abandon de l’épisiotomie prophylactique. C’est une litanie que l’on entend sans cesse dès qu’il s’agit de libérer l’information afin que les parents prennent en charge leurs décisions, en leur âme et conscience et sur la base de données factuelles, au lieu de se plier aux protocoles désuets, souvent infondés, qui leur sont imposés par les équipes soignantes.

Cette sage-femme avait raison, mais pour une toute autre raison : il ne faut pas faire peur aux femmes, car elles ont besoin d’assez de cran pour faire peur à celles ou ceux qui, par ignorance, peuvent attenter à leur intégrité physique.

Se réapproprier la naissance

En France, l’article 56-1 du Code civil précise : « La naissance de l’enfant sera déclarée par le père ou, à défaut du père, par les docteurs en médecine ou en chirurgie, sages-femmes, officiers de santé ou autres personnes qui auront assisté à l’accouchement ; et, lorsque la mère sera accouchée hors de son domicile, par la personne chez qui elle sera accouchée. » L’exigence d’un certificat médical est donc une pratique abusive. Malgré cela, dans la plupart des mairies, toute personne qui vient déclarer une naissance sans présenter de certificat médical est soumise à un harcèlement administratif, d’autant plus lorsque la naissance a eu lieu à domicile. L’AFAR propose actuellement l’intervention d’un avocat auprès du maire ou du procureur de la République pour mettre fin à ces abus.

La « démédicalisation » de la naissance ne se limite donc pas au refus d’actes médicaux dont la nécessité n’est pas prouvée. Elle implique un renversement de point de vue qui replace cet événement au centre de la vie familiale, alors qu’il a tendance aujourd’hui à se désintégrer, se déshumaniser, dans un univers techno-médical gouverné par des règlements sur lesquels les citoyens n’ont aucune prise. Elle s’insère dans un courant de pensée écologiste qui prône une « décroissance soutenable » sans pour autant imposer un immobilisme conservateur.

Ce changement de perspective suppose le développement d’une conscience critique de la réalité sociale globale dans laquelle nous vivons. L’expérience des ateliers d’auto-apprentissage inspirés de Paolo Freire nous a conduit à mettre en place, d’abord sur des listes de discussion d’Internet, puis dans les forums de libre parole, à l’occasion de rencontres, un mode d’échange privilégiant la démarche critique.

Le message central de Paolo Freire consiste à dire que notre capacité de connaissance dépend de notre aptitude à « problématiser » la réalité naturelle, culturelle et historique dans laquelle nous sommes immergés. La problématisation est l’antithèse d’une approche technocratique axée sur la « résolution de problèmes ». Pour résoudre un problème, un expert prend de la distance avec la réalité, en analyse ses différents constituants, invente des moyens de résoudre les difficultés de la manière la plus efficace, et finalement décrète une stratégie ou une ligne de conduite. Cette manière de procéder, selon Freire, distord la réalité de l’expérience humaine en la réduisant aux seules dimensions qui se prêtent à un traitement comme de simples problèmes à résoudre. Alors que problématiser, selon lui, revient à engager une population entière dans le projet de codifier la réalité dans son ensemble, au moyen de symboles qui permettent ensuite aux gens d’exercer une conscience critique […] et de devenir des agents de transformation de leur réalité sociale. C’est alors qu’ils deviennent des sujets, et non plus seulement des objets, de leur propre histoire.

Le travail accompli en France et dans les pays francophones depuis plusieurs années, sur Internet, dans les rencontres, les festivals, les conférences, les réunions associatives, a contribué à reconstruire un tissu social autour de la naissance : un réseau de parents et de professionnels informés, motivés et responsables. Mais, pour que ces citoyens deviennent aussi des « des agents de transformation de leur réalité sociale », il était nécessaire de les doter d’une force d’intervention qui opère à trois niveaux :

  • Mettre à disposition de tous l’information scientifique et juridique, pour tout ce qui touche à la périnatalité, au moyen d’ouvrages et de bases de données en ligne gérées par des bénévoles ;
  • Mettre en place un soutien juridique pour anticiper les litiges (projets de naissance), faire valoir les droits des parents (recours concerté à la suite de pratiques abusives, création d’un fonds de solidarité…) ;
  • Effectuer un travail de lobbying auprès des autorités sanitaires pour l’adoption de nouvelles règles de bonne pratique.

Les deux premiers niveaux relèvent directement de l’AFAR, , association qui s’inscrit dans une démarche similaire à celle d’AIMS au Royaume-Uni. Le troisième relève, en France, du Collectif Inter-Associatif autour de la Naissance.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. - * Champs obligatoires

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.