Aux yeux de beaucoup de parents, ce sont des enfants qui ne sont pas faciles. Les maternantes, elles, les surnomment affectueusement "babi" pour "bébés aux besoins intenses". Le terme est apparue en 1985 sous la plume de l'incontournable docteur Sears, lui-même doté d'un enfant "intense", à savoir un bébé pour lequel à peu près aucune règle de puériculture classique ne semble fonctionner! Un petit qui, depuis sa première inspiration hors du ventre sa mère, semble en rage ou en désespoir permanent.*
Qu'est ce qu'un babi ? Qu'est ce qu'un bébé aux besoins intenses ?
Le babi est un petit animal sauvage à apprivoiser en permanence. Un visage ou un environnement inconnu? Il manifeste bruyamment son refus. La moindre contrariété, le moindre délai dans la réalisation de ses désirs (à commencer par être pris non-stop dans les bras et téter quasi continûment), plonge cet hypersensible dans une crise dont il peut parfois ne sortir qu'au bout de plusieurs heures, laissant autour de lui un univers familial dévasté, des parents désemparés, tremblant déjà par anticipation à la perspective u prochain ouragan... qui ne tarde guère.
Ajoutons au tableau le fait que ces bébés, par ailleurs très éveillés, font en général montre des tendances hyperactives, avec des besoins de sommeil plus faibles que la moyenne et n'appréciant pas particulièrement les câlins. On mesure l'épuisement des parents.
Virginie, maman de Samuel, 7 mois : "Samuel est allaité et porté en écharpe, mais même cela, ça va un quart d'heure, pas plus. Contrairement à d'autres babi, il dort bien la nuit et il aime mon contact. Il n'aime que ça, d'ailleurs : il hurle sitôt que je le pose. Il tète en permanence, n'aime pas être ailleurs que chez nous, dort très peu la journée et pique des crises terribles, impossible de le calmer autrement qu'au sein. Je l'aime énormément , mais parfois ses cris m'épuisent. Comme je suis fatiguée, je le mets au sein sans tendresse, et j'ai peur d'avoir des gestes méchants. Je me sens coupable, mais je suis bien obligée de e laisser pleurer parfois, pour m'occuper de mes deux aînés, qui ont encore besoin de moi. Ce soir, je vais devoir les coucher et je sais que Samuel "va criser" : et je bâcle le coucher de mes deux grands pour lui...."
Avoir un babi est très éprouvant mentalement et physiquement
Chez certaines mamans de babi, on décèle une véritable détresse. "Avoir un babi est très éprouvant mentalement et physiquement, avoue Sophie, maman d'un petit "intense" de 21 mois. Je peux même dire que c'est la plus grosse épreuve que j'aie vécue jusqu'à présent. Car en plus de la fatigue, il y a le regard des autres, qui remet en cause mes choix de maternage de la manière la plus cruelle qui soit. Combien de fois certains m'ont-ils fait remarquer que mon fils a beau être porté, allaité et co-dodoté , cela ne l’empêche pas de hurler non-stop, alors que le leur, nourri au biberon, qu'on laisse pleurer s'il le faut, transporté en poussette et qui dort seul dans sa chambre depuis sa naissance, est un bébé adorable, toujours calme et de bonne humeur?" "Pour les autres, si mon enfant pleure tout le temps, c'est soit que c'est un sale gosse, soit que je suis une mauvaise mère, renchérit Sylvie. Pour le calmer, il n'y a que l'écharpe, mais pas question de l'enlever, même pour aller aux toilettes! J'ai le dos en compote et le moral dans les chaussettes. Car avec le stress incessant provoqué par ses pleurs, ainsi que mon manque total de disponibilité pour mon mari, mon couple part à vau-l'eau depuis quelques mois."
Cette culpabilité a été analysée ainsi dans les années 1970 par le pédiatre américain Thomas Berry Brazelton, à une époque où l'on ne parlait pas encore que d'enfants "difficiles" : "Un bébé très agité peut amener sa mère à se demander s'il est intact sur le plan neurologique. Il est si difficile, si hyperactif, si long à calmer qu'elle finira souvent par s'accuser elle-meme d'etre incapable. [...] J'ai toujours plaint de tout mon coeur le père ou la mère qui devrait affronter seul ce type de bébé. "
La solution empathie et de patience
Avec Sears, ces nourrissons que personne ne cherchait à comprendre, mais plutôt à oublier, sont, pour la première fois, vus sous une facette positive. Le chantre maternage amène parents et entourage à voir en eux tout le potentiel lié à leur tempérament de feu (curiosité, exigence, vivacité, sensibilité...). Il les présente comme des enfants comme les autres, qui nécessitent simplement des doses supplémentaire d'empathie et de patience. "Ces bébés ont des besoins affectifs énormes, dit le docteur. Le seul moyen d'éviter leurs pleurs est de les rassurer, de les porter, de les materner." Et d'inciter les parents à ne as lâcher : "Il s'agit d'un investissement à long terme. Ce sera l'année, voire les deux années les plus dures de votre vie, mais si vous jouez le jeu, vous en serez mille fois récompensés. Car cette hypersensibilité deviendra chez l'enfant qui aura grandi une force incroyable!"
Ces propos mettent du baume au coeur des maternantes et les rassurent : non, leur instinct ne les avait pas trahies lorsqu'il leur disait de porter et de câliner sans relâche leur petite boule de nerfs. Alors elles continuent, regonflée à bloc face au scepticisme de leur entourage. "le livre du docteur Sears a été ma bouée de sauvetage, assure Marion, maman d'une petite Anais "intense" de 28 mois. J'étais entrain de craquer, je remettais tout en question dans mon mode d'éducation et de maternage. Maintenant, tous les soirs, quand j'endors ma fille, je lui répète que je l'aime telle qu'elle est et je suis contente de combler ses besoins." D'ailleurs, depuis quelques semaines, Anais s'est bien calmée... Le début d'une ère nouvelle?
Retranscrit du livre "Choisir le maternage" par Catherine Piraud-Rouet